Le galet dans la littérature

« Il  y a sur ma table un caillou qui m’a été donné par la mer. Depuis des années je le traine avec moi, il est resté semblable à lui-même et, quand il est terni par la poussière, il me suffit  de le plonger dans l’eau, ou même de souffler un peu sur lui, pour qu’il reprenne son brillant et sa fraîcheur.
Il existe sans doute une grâce attachée à cet objet. Souvent, arrivant dans une chambre nouvelle, un peu accablé par l’étrangeté du lieu, l’hostilité ou la misère des choses, cette façon qu’elles ont de repousser l’intrus, je tire de ma valise ce caillou magique qui me rend le murmure léger du vent dans les oyats, la solitude des plages, et la mer grise. Il est petit, tou juste gros comme l’ongle; il ne pèse rien dans ma paume. Il est fait de cette matière transparente , qu’on dirait spiritualisée, intermédiaire entre la pierre et la coquille, le figé et le mouvant, si bien qu’on peut douter s’il s’agit d’une concrétion aqueuse, ou d’un corps extirpé aux entrailles de la terre et subtilisée voisinage d’un élément plus fluide. Une chose est sûre, c’est que transplanté dans une ville, dans une chambre, il s’y proclame étranger à tout. Je le regarde, posé sur ma table, apporté là malgré sa volonté. Il est sans origine perceptible. Il ne peut se rattacher à rien. Il est le type même de la chose insolite. De là son charme, matière raffinée, fatigué par le travail de l’eau, par les frottements, a produit ce résultat incroyable, la pureté même. Pureté qui fait de cet objet une pierre de touche, et rend grossier tout ce que l’on tenterait d’en rapprocher.
A quoi bon m’être tant agité hier ?…J’ai compris, ce soir, devant ce galet, ce qu’il me fallait faire. Quel objet plus poétique au monde ? 0ù trouver 
meilleur modèle ? Que je rende seulement mon poème pareil à lui. Puisse mon esprit le rouler indéfiniment,  jusqu’à lui donner cette finesse, cet éclat qui ne sont pas d’ici. »
Paul Gadenne (1907-1956)